Il n’y aura pas de Noël à Fès. Avant la crise sanitaire, la ville impériale du Maroc faisait le plein de touristes pendant cette période de l’année. Propriétaire d’un riad dans la médina, Karim (qui a souhaité garder l’anonymat) est partagé entre la colère et la désolation : « Je n’aurai personne en décembre. Pas un seul client. »
Au total, 100 % de ses réservations ont été annulées depuis la suspension, le 30 novembre, de tous les vols de passagers vers le royaume pour deux semaines, après l’annonce de la découverte en Afrique australe d’un nouveau variant du SARS-CoV-2, Omicron, au potentiel de propagation important. « On avait le sentiment que le tourisme repartait, on comptait sur la saison d’hiver pour sortir la tête de l’eau, et là, retour à la case départ. »
A Ouarzazate – la « porte du désert » –, Zoubir Bouhoute, président du conseil du tourisme provincial, dresse ce même constat amer : « C’est fini. Il n’y aura pas de reprise à la fin de l’année et sans doute pas non plus dans les premiers mois de 2022, car, avec ce nouveau variant Omicron, il ne faut pas s’attendre à une amélioration rapide de la situation sanitaire. »
Dans un secteur déjà sinistré par deux années de pandémie – et qui pèse lourd dans l’économie marocaine (7 % du PIB, plus de 500 000 emplois) –, la fermeture des frontières aériennes est perçue comme le coup de grâce. La Confédération nationale du tourisme (CNT) prévoit une perte de 1 milliard de dirhams (94,7 millions d’euros) pour la seule dernière semaine de décembre. Semaine durant laquelle 100 000 touristes étrangers étaient attendus.
« Un cauchemar »
L’été, pourtant, avait marqué les prémices d’une reprise, après un arrêt quasi total depuis mars 2020. La réouverture des frontières mi-juin avait permis le retour massif des Marocains résidant à l’étranger ainsi que l’arrivée des premiers touristes internationaux. Loin des performances de 2019, les stations balnéaires notamment, comme Agadir, Essaouira ou Tanger, affichaient de belles progressions. Puis, avec les premiers frissons de l’automne est arrivée une cascade de mauvaises nouvelles. Début octobre, les fermetures de lignes aériennes ont commencé avec la Russie, le Royaume-Uni, l’Allemagne et les Pays-Bas.
Fin octobre, les autorités ont renoncé à organiser l’assemblée générale de l’Organisation mondiale du tourisme prévue à Marrakech du 30 novembre au 3 décembre – un événement très attendu par les opérateurs. C’est Madrid qui en a hérité. Le 25 novembre, l’annonce de la suspension des vols à destination et en provenance de France « jusqu’à nouvel ordre » a douché les derniers espoirs de reprise, alors que l’Hexagone est le marché numéro un pour le tourisme marocain, représentant 28 % des nuitées. Trois jours plus tard, le comité interministériel de suivi de la pandémie annonçait la suspension de toutes les liaisons aériennes pour quinze jours, face à la dissémination du variant Omicron dans plusieurs pays, précisant que la situation serait évaluée régulièrement « afin d’ajuster, au besoin, les mesures nécessaires ».
Dans les hôtels, les agences de voyages, les annulations ne se sont pas fait attendre. Bon nombre d’établissements ont déjà décidé de fermer pour l’hiver. A Essaouira, le Festival des Andalousies Atlantiques, prévu fin décembre, a été reporté au printemps 2022. Dans la cité balnéaire, les hôtels terminent novembre avec un taux d’occupation « de 20 % à 30 % », selon le président du conseil du tourisme, Redouane El Khan. A Ouarzazate, ce taux ne dépasse pas les 15 %. « Un hôtel, pour être rentable, doit être à 60 %. A moins de 10 %, c’est la faillite », prévient Zoubir Bouhoute. « C’est un cauchemar, s’alarme Mounir Chami, de la Fédération nationale du transport touristique. Nos 1 670 entreprises, dont 95 % sont des TPE-PME, sont à l’arrêt depuis le début de la crise. Elles n’ont plus les moyens de payer leurs charges ni leurs crédits. La situation est catastrophique. »
Des entreprises en danger
« Le Maroc a bien réussi sa campagne de vaccination ; il est normal de tout faire pour ne pas perdre cet avantage », estime, pour sa part, Wissal El Gharbaoui, la secrétaire générale de la CNT, saluant le choix des autorités de « privilégier la sécurité sanitaire, même si cela a des conséquences extrêmement lourdes sur le plan économique ».
Des négociations sont en cours avec le gouvernement pour réviser le contrat-programme de soutien du tourisme signé en 2020, dont le principal objectif est le maintien des emplois. La ministre du tourisme, Fatim-Zahra Ammor, a fait savoir que l’indemnité mensuelle de 2 000 dirhams (environ 189 euros) par salarié, interrompue en juin, allait être réactivée. La CNT plaide également pour des mesures permettant de soulager la trésorerie « asséchée »des entreprises : « Cela doit passer par un fonds de garantie par l’Etat pour faire bénéficier les entreprises de crédits à taux zéro », défend Mme El Gharbaoui.
Selon la secrétaire générale de la CNT, près de 30 % des entreprises de l’industrie touristique marocaine sont en danger ; 20 % des emplois sont « en risque de déperdition ». Des chiffres qui traduisent une sombre réalité. Dans le dédale de ruelles de la médina de Fès, où l’on ne croisait, à la mi-novembre, que quelques touristes isolés, les commerçants, artisans, guides confiaient qu’ils avaient épuisé leurs réserves, comptant sur la solidarité familiale pour les faire vivre, ou parfois sur l’aide de leur patron quand celui-ci a bien voulu maintenir une part du salaire. D’autres se sont reconvertis dans les champs d’oliviers ou sur des chantiers.
« On ressent beaucoup de désarroi, de désespoir, et même des tensions dans la médina. Les gens commencent à avoir faim au sens propre du terme », rapporte Karim, à Fès. Lui croule sous les charges de son riad. « Je commence sérieusement à envisager de vendre, car cette crise, on n’en voit pas le bout. »
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