
La progression de +24 % sur deux mois (521 000 arrivées supplémentaires) et +22 % en février 2024-2025 (+248 000 entrées) est bien sûr bonne. Néanmoins, ces chiffres doivent être interprétés dans un contexte post-Covid, où le secteur touristique mondial connaît une reprise généralisée. En 2023, l’Organisation mondiale du tourisme notait une croissance moyenne de +34 % pour l’Afrique, suggérant que le Maroc, bien qu’en avance, suit une tendance régionale.
Autrement, les Marocains Résidant à l’Étranger, qui représentent +130 000 entrées supplémentaires (+26 %), constituent un pilier de cette croissance. Si leur contribution stabilise les revenus (transferts financiers estimés à 11,2 milliards USD en 2024, selon Bank Al-Maghrib), elle reflète aussi une économie touristique encore tributaire d’une diaspora souvent perçue comme « captive ». Cette clientèle, bien qu’importante, génère des dépenses moyennes inférieures à celles des touristes étrangers (hors MRE), limitant l’impact sur la valeur ajoutée sectorielle.
La mention de « performances solides sur les principaux marchés émetteurs » (sans précision) soulève des questions. En 2024, la France, l’Espagne et l’Allemagne représentaient 58 % des arrivées, selon l’Observatoire du Tourisme. Une surreprésentation européenne expose le Maroc aux aléas économiques du Vieux Continent (inflation, pouvoir d’achat en baisse), tout en retardant la diversification vers des marchés à fort potentiel (Chine, Inde, États-Unis).
Si la ministre Fatim-Zahra Ammor souligne à juste titre la création d’emplois et l’« insertion des jeunes », les données macroéconomiques appellent à la prudence. En 2024, le tourisme contribuait à 7 % du PIB marocain, un chiffre stagnant depuis 2010 malgré les investissements. La précarité des emplois sectoriels (80 % en CDD ou informels, selon le HCP) et la concentration des bénéfices dans les grands groupes hôteliers (Sofitel, Marriott) plutôt que chez les artisans locaux limitent l’effet « gagnant-gagnant » évoqué.
Par ailleurs, la référence au leadership de Sa Majesté rappelle que le Plan Vision 2020-2030, axé sur la montée en gamme et l’écotourisme, a mobilisé 6,4 milliards USD d’investissements. Toutefois, les objectifs initiaux (26 millions de touristes d’ici 2030) supposent une croissance annuelle de +8 %, rendue improbable par des goulots d’étranglement structurels :
Fait qu’il faut tenir en compte est la saturation hôtelière. Le Maroc compte en effet 280 000 lits homologués, avec des taux d’occupation dépassant 75 % en haute saison, générant des surcoûts et une pression sur les ressources (eau, énergie). Comment réguler ce déséquilibre ? Rien ne filtre à ce sujet au département du Tourisme.
– Déficit en Transport : Malgré l’ouverture de nouvelles lignes aériennes (Royal Air Maroc + EasyJet), 67 % des touristes arrivent par voie terrestre ou maritime (données 2024), limitant l’attractivité lointaine.
L’absence de mention de l’impact écologique du tourisme de masse (1,4 million de visiteurs en février seul) interroge. Les villes impériales (Marrakech, Fez) subissent une pression immobilière croissante, tandis que le littoral méditerranéen (Saïdia, Tamuda Bay) fait face à une érosion accélérée. Le Maroc, signataire des accords COP28, peine à concrétiser son ambition de « destination verte », avec seulement 12 % des hôtels certifiés écologiques en 2024.
Le Maroc devance certes la Tunisie (en crise politique) ou l’Égypte (dépendante du tourisme balnéaire), mais perd du terrain face à des rivaux émergents comme l’Arabie Saoudite (60 milliards USD investis dans le tourisme d’ici 2030) ou le Rwanda, pionnier de l’écotourisme premium.
Nous avons notre image de marque et un positionnement à redéfinir, un modèle à consolider, une ambition à réinventer…
Malgré des campagnes ciblées (« Maroc, Terre de Lumière »), notre destination reste associée à une offre balnéaire et culturelle classique, peinant à séduire les milléniaux en quête d’expériences « off the beaten track ». La part du tourisme d’aventure ou rural ne dépasse pas 5 % du total.
Les performances de 2025 confirment assurément la résilience du secteur touristique marocain, porté par une diplomatie active, des infrastructures améliorées et un ancrage culturel fort. Toutefois, ces succès ne doivent pas occulter les défis systémiques : dépendance aux MRE, saturation écologique et nécessité de monter en gamme. Pour atteindre ses objectifs 2030, nous devons, par exemple, accélérer la diversification géographique via des visas facilités pour les Asiatiques et Nord-Américains, investir dans un tourisme durable, en conditionnant les aides publiques à des certifications écologiques et valoriser les circuits courts pour que les retombées profitent aux artisans et agriculteurs locaux.
En l’état, le modèle marocain reste un exemple de réussite africaine, mais sa pérennité dépendra de sa capacité à transformer une croissance quantitative en progrès qualitatif.
/premiumtravelnews.com par mustapha amal