Sur le papier, le gazoduc Maroc-Nigeria doit parcourir près de 5.660 km et traverser plus d’une dizaine de pays pour, à terme, être connecté au marché européen. Celui-ci va capitaliser sur un autre gazoduc opérationnel déjà en Afrique de l’Ouest, le «West African Gas Pipeline», qui relie le Nigéria au Ghana, en passant par le Bénin et le Togo. Autrement dit, le projet de gazoduc Maroc-Nigéria devrait donc relier le West Africain Gas Pipeline, un projet qui s’inscrit également dans la diplomatie ouest-africaine puisqu’il impliquerait la plupart des pays membres de la CEDEAO.
Le gazoduc Maroc-Nigéria longerait la côte Ouest Africaine en traversant ainsi 14 pays : Nigéria, Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire, Liberia, Sierra Leone, Guinée, Guinée Bissau, Gambie, Sénégal, Mauritanie et Maroc.
Il faut dire que ce projet, annoncé pour la première fois en décembre 2016, lors de la visite d’État du Roi Mohammed VI au Nigéria, est depuis allé très vite dans sa mise en route.
En mai 2017 déjà, des accords de coopération ont été signés à Rabat pour engager les deux parties à parrainer une étude de faisabilité (terminée en Juillet 2018) ainsi qu’une pré-étude des détails (FEED) rendue au premier trimestre 2019. En Juin 2018, des accords relatifs à sa construction sont signés à Rabat. Dans la phase de pré-études, il s’agit pour les États traversés et la CEDEAO de signer des accords relatifs à sa construction mais aussi de valider les volumes de gaz disponibles pour l’Europe et d’entamer les discussions avec les opérateurs du champ «Tortue» (ressources gazières) au large du Sénégal et de la Mauritanie (ces deux pays ont signé un accord en décembre 2018 afin d’exploiter en commun le champ gazier Grand Tortue-Ahmeyim) et approcher des clients européens. Les différents acteurs du projet estiment que celui-ci permettrait de booster les industries régionales, de soutenir la création de pôles industriels, de faciliter l’essor des secteurs de l’industrie, de la transformation alimentaire et des engrais, mais aussi d’améliorer la compétitivité des exportations entre pays africains. Il permettrait donc à l’Afrique de l’Ouest de s’autosuffire dans ces domaines-là.
Des acteurs privés sont également impliqués jusqu’ici, notamment des cabinets britanniques comme Penspen qui est intervenu dans l’étude de faisabilité et la pré-étude de détails du gazoduc. L’ONHYM (Office National des Hydrocarbures et des Mines du Maroc) et la compagnie pétrolière publique NNPC ont également joué un rôle prépondérant dans la mesure où ils ont effectué le tracé du gazoduc, tracé offshore et onshore, ont choisi la société Penspen et ont réalisé avec elle la première phase du projet avec la pré-étude de détails (FEED). Des banques internationales de développement vont également être sollicitées afin d’obtenir les financements du projet, pour accompagner les fonds souverains des deux pays qui sont pour le Maroc Ithmar Capital et pour le Nigéria le Nigerian Sovereign Investment Authority (NSIA).
En décembre dernier, la Banque islamique de développement (BID), qui a mobilisé une enveloppe de 15,4 millions de dollars en faveur du Royaume pour mener à bien l’étude de conception et approuvé un financement de 29,7 millions de dollars au profit du Nigeria, a lancé un appel à manifestation d’intérêt (AMI) pour l’audit financier des études d’avant-projet du projet de construction du Gazoduc Nigeria-Maroc. La BID devrait ainsi supporter près de 50% du coût total de l’étude dont le coût s’élève à 90,1 millions de dollars, dont les résultats devraient être livrés en 2023.
Pus récemment également, en avril dernier, Nadia Fettah, ministre de l’Economie et des finances a procédé, par échange de correspondance, avec Abdulhamid Al khalifa, directeur général de l’OPEC FUND et Amina Benkhadra, DG de l’ONHYM, à la signature de la documentation juridique relative au financement, d’un montant de 14,3 millions de dollars, accordé par l’OPEC FUND à l’ONHYM au titre de sa contribution au financement de la deuxième phase de l’Etude d’avant-projet détaillée (FEED).
Logique aujourd’hui que le Nigéria, 5ème exportateur de gaz dans le monde et premier en Afrique, et la CEDEAO qui aura, elle, un rôle moteur dans la négociation des accords et l’encadrement de la construction du gazoduc dans la mesure où les États traversés par le gazoduc en font partie, aient fait le choix du projet de gazoduc Nigeria-Maroc qui présente d’indéniables avantages par rapport à celui de Nigeria-Algérie qui n’a pour principale atout que le facteur géographique avec un tracé de 4.128 km comparé aux 5.660 km du GMN.
Rappelons que le gazoduc transsaharien vise à transporter le gaz du delta du Niger vers l’Algérie via le Niger et peut-être le Mali. De multiples défis sécuritaires seront à surmonter tout au long du tracé de ce projet discuté depuis les années 1990. Avec la montée en puissance depuis 2006 des mouvements terroristes tels qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) ainsi que l’accroissement des violences dans le delta du Niger, ce projet semble difficile à réaliser dans le court terme. Il devra traverser des zones non sécurisées, depuis le delta du Niger où les installations d’extraction d’hydrocarbures font face à des opérations de sabotages chroniques, en passant par le Nord du Niger où sévissent les rebelles touarègues et les organisations terroristes, avant d’atteindre le désert algérien connu pour être un sanctuaire de groupes criminels et terroristes.
Outre le défi sécuritaire, il y a aussi celui du financement. Le coût du projet et les sources de financement ne sont pas encore connus. Résultat des courses : plus de doute sur la position nigériane qui rejoint ainsi celle de la CEDEAO, l’un des principaux avocats du GNM. A noter que le royaume, aujourd’hui bien enraciné dans cette partie du continent, est le premier investisseur africain en Afrique de l’Ouest et le deuxième à l’échelle du continent.
Le Nigeria, membre de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), dispose d’énormes réserves en gaz, les premières en Afrique et les septièmes au niveau mondial. Présenté comme propice à l’intégration économique de l’Afrique de l’Ouest, le projet du gazoduc GNM devrait permettre aux pays ouest-africains de profiter du gaz nigérian pour palier à leurs problèmes énergétiques, notamment en production électrique, véritable frein pour leur développement industriel.
Aujourd’hui, en dépit de l’énième tentative de ressusciter l’énorme infrastructure du Trans Saharan Gas Pipeline lors du déplacement au Niger, le 15 février dernier, du ministre algérien de l’énergie, Mohamed Arkab, afin de convenir de mettre en place une feuille de route pour le projet de Gazoduc transsaharien, les jeux sont désormais faits : le Nigeria a tranché en faveur du tracé marocain.
Le Gazoduc Nigeria-Maroc devrait également profiter de la conjoncture internationale marquée par le conflit russo-ukrainien qui fait que les réserves en gaz de l’Afrique attirent de plus en plus les regards, notamment du côté de l’Union européenne, qui tente de se libérer de sa dépendance au gaz russe. D’ailleurs, les récentes découvertes de gisements en gaz offshore tout au long du tracé du GMN, notamment au large de la Côte d’Ivoire et du Ghana, entre le Sénégal et la Mauritanie et dans les eaux territoriales marocaines, devraient rassurer, d’un côté, les pays européens sur la capacité du GMN à répondre à leurs besoins en gaz et, de l’autre, les investisseurs potentiels sur la viabilité économique du projet.
Source: challenge